« J’étais en vacances mais je me sens déjà fatigué·e en rentrant. »

Quand le repos ne suffit plus : reconnaître et réparer les fatigues invisibles

L’approche de l’été est souvent vécue comme un moment de soulagement attendu : celui du repos mérité, celui de « souffler enfin ». Pourtant, nombre de personnes confient revenir de congés tout aussi, voire plus, fatiguées. Cette expérience, loin d’être anodine, révèle une méconnaissance fréquente : le repos ne fonctionne pas de la même manière selon ce qui nous fatigue. La fatigue contemporaine n’est ni régulière, ni purement physiologique. Elle est souvent multiforme : mentale, émotionnelle, corporelle ou encore éthique, et profondément liée à notre rapport au travail, au temps, aux autres.

Dans cet article, nous proposons de penser le repos autrement, comme une ressource essentielle, renouvelable et à cultiver pleinement.

Une fatigue multifactorielle : pas seulement un manque de sommeil

Il n’existe pas « une » fatigue, mais plusieurs. 

Les distinguer, c’est déjà commencer à prendre soin de soi, des autres et des collectifs aussi. Dans le monde professionnel comme dans les sphères personnelles, mieux identifier les formes de fatigue permet d’agir plus finement, en prévention comme en rétablissement. 

Identifier ce qui s’est usé permet alors de reconnaître les besoins spécifiques qui appellent certaines actions. Voici différents types de fatigue que nous pouvons observer chez chacun.e :

Fatigue physique : le corps est lourd, douloureux, affaibli, comme à bout. La fatigue vient d’efforts prolongés et/ou d’un manque de récupération.

    • On se dit souvent : « J’ai mal partout », « Je dors bien mais je me sens épuisé·e dès le matin », « Chaque mouvement demande un effort »

⇒ Que risque-t-on ? Blessures et troubles musculo–squelettiques, baisse des défenses immunitaires, douleurs chroniques…

Fatigue émotionnelle : les émotions sont altérées, trop présentes ou au contraire absentes. Par exemple des signes d’irritabilité, d’agressivité, d’anxiété, ou encore de détachement. La personne peut se sentir découragée, démotivée ou submergée.

    • On se dit souvent : « Tout m’agace », « J’ai la flemme », « Je supporte de moins en moins les gens », « Je me sens vide »

⇒ Que risque-t-on ? Blessures et troubles musculo–squelettiques, baisse des défenses immunitaires, douleurs chroniques…

Fatigue mentale : la pensée tourne à vide, elle est surchargée par les sollicitations et les décisions. Il devient difficile de se concentrer et de prendre des décisions claires.

    • On se dit souvent : « Je n’arrive pas à me concentrer », « Je lis, parfois plusieurs fois les mêmes lignes, mais je ne retiens rien », « Je fais des erreurs bêtes »

⇒ Que risque-t-on ? Troubles de la mémoire, diminution de la vigilance, troubles du sommeil, stress chronique et burn-out…

Fatigue éthique ou morale : conflit intérieur entre ce que l’on juge juste ou acceptable pour soi-même et ce que l’on est obligé de faire. Ce décalage crée un mal-être profond, de la culpabilité, et une grande souffrance intérieure.

    • On se dit souvent : « Je me sens coincé·e », « J’ai envie de tout laisser tomber », « Je ne me reconnais plus dans ce travail »

⇒ Que risque-t-on ? Mal-être profond et durable, épuisement sévère, faible estime de soi, isolement social, atteinte à l’identité et l’équilibre psychique…

La culture de performance : un obstacle au repos 

Le culte de la productivité, souvent intériorisé dès l’enfance, rend difficile le simple fait de… ne rien faire. Même en congé, beaucoup se sentent coupables de « perdre du temps » ou s’imposent des programmes de vacances aussi chargés qu’une semaine de travail. Ralentir, voire s’arrêter, devient presque suspect, vécu comme une perte de valeur personnelle. La culpabilité devient alors un signal d’alarme permanent : ne rien faire, c’est s’éloigner de ce qu’on attend de soi, de ce qu’on croit devoir être.

Dans cette logique, le repos n’a pas de place légitime. Même les arrêts maladie sont parfois vécus comme fautifs, perçus à travers un prisme de méfiance intériorisés comme un aveu d’échec.
Il est nécessaire de déconstruire ces injonctions, pour restaurer une relation plus juste au temps et à notre besoin fondamental de récupération.

À retenir : le repos implique aussi un travail psychique de déconstruction des normes de performance et de la culpabilité qui les accompagne.

Repos et rythmes biologiques : l’importance de ralentir

Le corps humain n’est pas fait pour fonctionner en continu. Nos rythmes biologiques demandent une alternance entre veille et sommeil, tension et relâchement. Or, notre mode de vie moderne tend à effacer ces cycles naturels.

Les périodes de grandes vacances peuvent être l’occasion de réapprendre à écouter ces rythmes : dormir quand le corps est fatigué, manger quand la faim se fait sentir, bouger selon son énergie, s’exposer à la lumière du jour, etc. Cette reconnexion corporelle est un puissant levier de récupération. Toutefois, l’enjeu dépasse ces parenthèses saisonnières : c’est dans notre quotidien que nous devons intégrer des temps et des espaces de pauses régulières, pour préserver ses ressources sur le long terme.

À retenir : ralentir n’est pas un luxe, c’est une nécessité biologique.

Se reposer en profondeur : 4 dimensions à explorer

Le repos ne se limite pas à une simple pause. C’est un processus actif de récupération qui peut toucher plusieurs aspects selon la nature de la fatigue.

Le corps : soulager l’organisme

    • Objectif : calmer les tensions, diminuer les douleurs, retrouver de l’énergie physique

    • Exemples : marcher lentement, pratiquer la relaxation musculaire, faire des étirements doux, prendre un bain chaud, veiller à un sommeil suffisant et de qualité (siestes réparatrices, « power nap », respect des cycles nocturnes)…

Les émotions : apaiser les tensions affectives

    • Objectif : retrouver un équilibre émotionnel, restaurer sa capacité à ressentir et accueillir ses émotions sans surcharge

    • Exemples : exprimer ses émotions (parler, écrire), pratiquer des activités qui procurent du bien-être, s’éloigner temporairement des relations et situations drainantes…

L’esprit : relâcher la pensée

    • Objectif : apaiser la pensée, réduire le brouillard mental, améliorer la concentration

    • Exemples : se donner des temps de silence, pratiquer la respiration profonde, méditer, lire tranquillement, s’éloigner des écrans…

Le sens : réajuster ce qui fait motive

    • Objectif : clarifier ce qui compte vraiment, diminuer le conflit intérieur

    • Exemples : passer du temps dans des activités qui font sens, se (re)connecter à une passion / à un projet, réfléchir à ses priorités, discuter avec quelqu’un de confiance sur ses doutes ou convictions…

Conclusion 

⇒ On peut se reposer sur plusieurs plans en même temps ou séquentiellement. Il ne s’agit pas d’un mode d’emploi unique, mais d’un ajustement à soi : ses propres ressources internes, ses conditions matérielles, ses contraintes extérieures. Par exemple, certains prennent soin du corps en premier, pour accéder ensuite à l’émotionnel. D’autres doivent rétablir un sens pour relâcher la tension morale, et ainsi de suite.

Pour les particuliers : comprendre et agir

Reconnaître les différentes fatigues peut être un point de départ vers un accompagnement plus profond. Nous proposons :

  • des suivis thérapeutiques individuels pour comprendre ce qui vous épuise et comment vous rétablir et vous protéger,
  • des bilans socio-professionnels qui intègrent la question du sens, de l’identité professionnelle, et des ressources subjectives : pas juste « ce que je peux faire », mais « ce qui me fait du bien en travaillant ».

Parce que le repos ne se réduit pas à une simple pause, il s’agit de retrouver une énergie durable pour mieux faire face aux défis du quotidien.

Pour les organisations : prévenir, ajuster et prendre soin

Nous accompagnons également les organisations à :

  • Diagnostiquer les formes d’épuisement présentes,
  • Agir concrètement sur les conditions de travail (rythmes, charge, ergonomie, marges de manœuvre, etc.),
  • Sensibiliser à une culture de repos légitime et de soin partagé,
  • Intégrer le « prendre soin » comme valeur stratégique et responsable.

Car un salarié reposé n’est pas seulement performant. C’est un professionnel présent, engagé, et durablement aligné avec son métier.

Des références pour aller plus loin

Jacques CURIE : transformations sociales du travail, personnalisation des carrières et tensions identitaires.

Christophe DEJOURS : souffrance au travail, fatigue psychique liée aux conditions professionnelles et à l’organisation.
Albert GOLDBETER : mécanismes des rythmes biologiques, cycles veille-sommeil et régulation circadienne influençant la récupération et la fatigue.

Patrick LEGERON : gestion du stress professionnel, risques psychosociaux et impact sur la santé mentale.

Pierre Hervé LUPPI : mécanismes cérébraux de l’alternance veille-sommeil et processus de récupération.

Philippe MALRIEU : organisation du travail, rythmes sociaux et leurs effets sur la santé et la fatigue.

Marie PEZE : reconnaissance et prévention des multiples formes de fatigue, notamment le burn-out.

Allan RECHTSCHAFFEN : classification des phases et cycles du sommeil (REM, non-REM), fondements des mécanismes de récupération et de la fatigue.

Sophie SCHWARTZ : liens entre sommeil, mémoire, fonctions cognitives et impact des rythmes biologiques sur la fatigue et la santé mentale.

Sources complémentaires utiles

  • Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le burn-out, la fatigue chronique et la santé mentale.
  • Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) pour des données et recommandations sur le sommeil et la récupération.